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Le Cénotaphe

Chapitre 10 : Balancier

11 Novembre 2017 , Rédigé par Shee-Lyn Publié dans #Le Cénotaphe

Survivants : 18/20

 

Ma gorge était plus que sèche.Je me doutais que ce qui allait le plus nous mettre en danger n'était pas le bourreau à proprement parler, mais la faim ou la soif. Un sentiment aigre, comme un coup de poing dans l'estomac, une certitude d'un compte à rebours invisible. Je pourrais tout aussi bien boire dans les flaques éparses si le besoin venait à s'en faire sentir. Mais l'idée me répugne et me rabaisser à ce genre de chose me fait froid dans le dos.

Les deux portes closes n'avaient pas de poignée. Je lisais, relisais la troisième lettre dont les mots écrits rapidement et avec maladresse m'avaient donné de précieux renseignements. De même que la note qui cachait l'orifice. Il était étrange se s'imaginer ce lieu avoir plusieurs vies différentes. Une chose était certaine, je n'aurais pas voulu y prendre mes cours.

Je devais insérer quelque chose là-dedans. En tout bien tout honneur, je tentais avec le pouce. Je sentis une pointe au bout. Quelque chose devait s'encocher pour activer une sorte de mécanisme. Mon doigt ne servirait pas.

Tout avait la même thématique. Ce qui acheva de me convaincre ce fut les trois phrases répétées à la fin de la note, sans doute rédigées par le Cénotaphe en personne. Je venais à penser que celui ou celle qui nous a fait ce coup pouvait très bien tenir des paris quelque part, ou que ce groupe de psychopathe notoire avait leur favoris, et jouaient aux dés ceux qui survivraient. 

Je retournais voir mon ami le modèle anatomique et j'observais ses yeux. Ils n'avaient rien d'étrange au demeurant, mais en les bougeant un peu, je pu remarquer que celui de droite pouvait se ôter.

Avec surprise, je découvris que la demi sphère tenait grâce à une petite pointe semblable à celle du mécanisme.

— Qui ne tente rien...

Sitôt redressé, j'entendis un hurlement en provenance de l'une des portes. Quelqu'un l'avait violemment percuté et grattait désormais, espérant que quelqu'un aie pitié et ouvre. La peur m'avait envahi, elle gagnait du terrain à la vitesse d'un train. J'avais le choix entre me mettre en danger et sauver quelqu'un, ou me détourner et faire la sourde oreille.

Les conséquences de vos choix à l'extérieur sont rarement aussi directs. Le grattement devint plus frénétique, les gémissements également. Parfois je me demande comment fonctionne ma façon de penser. Aussi étrange qu'elle puisse paraître, elle devrait être logiquement tournée vers mon instinct de survie, et pas faire ce que je m'apprêtais à faire. 

Je plaçai l'oeil dans l'alcôve et poussait jusqu'à entendre un clic. La porte vibra et s'ouvrit sur une belle bibliothèque. Enfin, belle, elle devait l'avoir été un jour. Elle n'avait plus rien de charmant avec une lumière naturellement bleutée qui renvoyait toute la poussière tels des nuages d'oiseaux en furie. La scène avait des allures de champ de bataille des livres dans tous les sens, les pages volantes éparpillées. Au sol, allongé, les bras devant les yeux en guise de maigres défenses, un jeune homme. Son visage était couvert de coupures et son pied était prit dans une sorte de piège à loup. Difficile de s'en sortir tout seul, surtout prit de panique.

— Ne me tuez pas ! Pitié je ne le referai plus promis !

Je m'accroupis, regardant le mécanisme et l'état de la jambe du malheureux. Ce n'était pas beau à voir, en réalité, je me demandai s'il arriverai à marcher de nouveau, sans boiter. Un gigantesque bleu fusait de part et d'autres de la barre en métal, suivant le trajet de ses veines. A peine tentais-je de tirer sur la mâchoire qu'il hurla à la mort de douleur.

— Désolé, je ne voulais pas en rajouter.

Son front perlait de sueurs et ses traits se déformaient à chaque respiration. Ses yeux étaient fous, complètement injectés de sang. Je ne donnais pas cher de son état mental.

— C'est quoi ton nom?

— Trévor, enfin, non, le surnom, Aie !!

— Tout doux, Trévor, ça ira. De toute façon cette idée de surnom était totalement ridicule en finalité.

Il déglutit et hocha la tête. je regardais autour, afin de trouver quelque chose qui pourrait être utile dans ce genre de cas. Je voulais ouvrir cette machinerie infernale en causant un minimum de dégât. Du moins, ne pas en rajouter.Il aurait suffit d'un levier assez solide pour écarter les barres de métal, mais je n'avais rien qui puisse faire l'affaire. Mais avant de faire quoi que ce soit, je devais d'abord le calmer.

— Tu sais, je doute que nous soyons en danger dans cette pièce, c'est assez calme et on entend rien.

— Que tu crois, répondit-il. Non Franck, ils savent tout sur nous. je ne sais pas comment ils ont su, mais je ne veux pas mourir ici ! Je veux faire amande honorable.

J'opinai du chef sans réellement comprendre où il voulait en venir. J'allais au centre de la pièce. Les étagères étaient disposées en cercle, en son centre, une longue corde effleurait le sol, pendant mollement, reliée à un lustre noire dont les ampoules étaient absentes.

— Tu étais avec nous dans le premier couloir, non?

— Oui, mais quand on s'est séparé, je suis tombé sur Ours, et il m'a menacé de mort. Il m'a poursuivit jusqu'ici et m'a étranglé. J'ai ensuite perdu connaissance.

A bien y regarder, j'avais remarqué des traces étranges sur son cou, mais j'ignorai qu'elles purent venir de là. Une véritable danse macabre se déroulait sous nos yeux.

— Il a essayé de te pendre, on dirait.

— Comme un jambon, oui, je me suis libéré assez facilement, mais j'ai entendu des voix et j'ai voulu voir.

— Et tu es tombé dans ce piège. On va voir ce qu'on peut faire sans te trancher la cheville.

— Ne me fait pas rire, j'ai encore mal à la gorge.

Je tirai fortement sur la corde, le lustre se balançait d'avant en arrière, arrachant de la poussière du plafond.Insister ne servirait à rien. Je pensai au hurlement que j'avais entendu et en recoupant toutes ses phrases cela devint assez logique. J'avais nulle peine à imaginer le craquement de ses os.

— Selon la lettre nous avons tous quelque chose à nous reprocher. Toi, c'est quoi, demandais-je sur le ton de la discussion.

— Oh, tu n'en as pas entendu parler ?

— De quoi donc ?

— Des histoires sur moi.

J'avouai que son visage ne m'était pas totalement inconnu, je ne savais plus vraiment où ni quand je l'avais vu cependant. Il mit du temps avant de se rallonger, fixant le plafond. Pour ma part, je jetai un coup d'oeil  aux différents ouvrages, bercés par l'humidité et la moisissure, me mordant la lèvre inférieure. Mon crâne me lançait des décharges désagréables. Trévor se racla la gorge et se frotta la nuque. je l'observais toujours. Il se remit sur ses coudes, faisant un effort surhumain pour ne pas flancher.

— Je suis certain que tu t'en souviens, c'est passé aux infos nationales. Mais cela n'explique pas certaines choses. Seule ma famille devrait en connaître autant sur moi. Bref, je viens d'une famille riche, le genre pleine aux as, ne sachant que faire de leurs journées.

— Le genre d'ennuis que je veux définitivement.

Je remarquai trop tard le sourire cruel qui scintillait sur mon visage, quand je croisai un miroir sale et brisé par endroits.

— C'est moi, pensais-je, et pourtant je ne me reconnais pas. Ce sourire... Il me terrifie.

Je me fais peur.

Je ne me reconnais plus

— Oui, bien écoute, quand tu n'as pas vécu et apprit le respect.

Je secouai la tête, plus pour me chasser cette image de ma tête que pour lui répondre. Il dût cependant le prendre comme tel et continua.

— Un jour, je m'ennuyais plus que de raison, avec un pote, on a voulu tenter une expérience.

— Du genre à avoir l'adrénaline qui vous manquait?

— Exact.

Je tournai lentement la poignée bouton de la porte au fond de la pièce, mais elle tournait dans le vide et il n'y avait pas de serrure. Si le danger devait venir de là, ce serait avec fracas. je pouvais réfléchir à un piège, mais cela nécessiterai trop de moyen. Il fallait pourtant que j'occupe mon esprit à quelque chose, j'avais, non, je sentais une étreinte cruelle de cette expression qui me hantait. Comme un double de ma personne qui me mettait le couteau sous la gorge avec plaisir.

— Une petite virée nocturne?

— Non, répondit-il gravement. Au début on voulait mettre le feu à une poubelle.

— Quelle racaille, murmurai-je avec cynisme.

— Nous étions ivres. Cela ne sert pas d'excuse, mais cela aide à la compréhension. Non loin de la poubelle, il y avait un clochard sur un banc sans défenses avec son chien.

Mon dos se raidit, mon regard croisa à nouveau celui de mon regard. à nouveau, j'étais quelqu'un d'autre. Froid, cruel, mais surtout prêt à faire quelque chose de bien sale.

Tu t'en doutes non? De ce qu'il va dire. De ce qu'ils ont fait.

— Qu'avez vous fait, demandais-je en me massant les paupières.

— On a fait les cons.

— Et il ne vous est pas venu à l'esprit que vous étiez en train de préparer quelque chose de mauvais? Vous avez fait quoi?

— Qu.. Quelle importance ?

Il sembla s'être ravisé sur sa confession. J'entendis un bout de verre se briser, sans comprendre de suite ce que j'étais en train de faire. L'instant d'après, je fus au dessus de lui, un morceau du miroir sur sa pomme d'Adam, mon sang s'échappant par les coupures de mon arme improvisée.

— Vous avez fait quoi?!

Tu le sais.

Tu l'as toujours su.

— Du calme, mec ! Tu le connaissais ce bouseux?!

— Pas besoin de connaître une victime pour avoir de l'empathie pour elle !! Répond ! Ou pour une fois, le bourreau n'aura qu'à se baisser pour récolter ton corps froid et exempt de vie !

Les mots d'Erin me percutèrent et mon esprit oscillait entre la démence et l'envie  de m'en sortir. Trévor, plus pâle que jamais, les joues creusées et les yeux au plus profond de ses orbites poussa un grave soupir.

— Pour tout dire l'idée ne venait pas de moi. Je n'ai jamais voulu cela. Le chien était maigre et dormait par terre, on s'est dit qu'il y tenait à son clébard, du coup on l'a titillé. On lui disait de faire des trucs humiliants sinon on tuait son chien. Il était pas drôle, parce qu'il le faisait sans broncher, tu comprends, ça nous a bien emmerdé, il faisait tout. Tu comprends ?

— Tu me demandes sérieusement  si je comprend tout ça?!

— Aie ! Ok ok ! Mais du coup, on lui a proposé un marché, Soit il s'aspergeait d'essence, soit on mettait le feu à son clebs. On l'avait déjà aspergé au préalable.

— Bande d'ordures ! Et ensuite?!

— N'appuis pas ! J'ai mal moi ! A...Alors cet idiot, il l'a fait, il a utilisé tout le reste de l'essence et mon pote..Et.. Et bien.. Et bien.

Il continuait à parler, mais je n'avais pas besoin d'en savoir plus, je voyais parfaitement la scène. Il a dû envoyer son briquet ou une allumette et les deux se sont mit à flamber. S'il était là, avec nous, c'est que Justice n'avait pas été faite. Fils de notable, impossible à inculper, même avec le bidon d'essence entre les mains.

— Ils ont conclu à un suicide et mon pote n'a rien eu, moi non plus grâce à mon père.

— Notre famille, votre famille, caché enfouis dans les mémoires...

— De quoi parles-tu?!

— Je pensai qu'il s'agissait de toi, raclure, mais non, toi, tu es juste un lâche qui se cache derrière son pognon! Donne moi une bonne raison pour ne pas te tuer moi-même ? Après tout, ce qui se passe ici, reste ici.

— Non vraiment, arrête ! Tu me fais flipper là!

Peur.... Frayeur.. Pas assez, pas assez souffert.

Justice pour les victimes.

— Et ce pauvre mec ! Tu crois pas qu'il a flippé ?! Et son chien?! Ils n'ont rien demandé !

— Personne ne s'est plain de leur disparition ! Et je lui ais peut-être rendu service, sa vie était de la merde ! Et puis, bon dieu, c'était juste un clochard avec son clebs !

La suite alla très vite. Trop vite. Je vis tout cela comme spectateur, un mouvement brusque, ma main qui percute sa joue, le morceau de miroir qui se loge dans la cuisse et qui remonte et se brise au passage, mes mains qui bougent toutes seules. je pensai de prime abord l'avoir tué, mais non. Heureusement. Pantelant, en sueur, j'avais envie de lui cracher à la figure, mais mon mal de crâne me retint. Vacillant, je reculai en m'adossant à l'étagère pleine de livres en sale état. Mon poids la fit basculer et le meuble s'écrasa au sol en soulevant un véritable nuage de poussière.

— Je n'aurais pas dû faire ça, murmurai-je, je n'aurais pas dû faire ça. Je ne suis pas mieux que lui, si je tue quelqu'un à terre, je ne suis pas comme ça, je ne suis pas comme ça....

Nous avons tous quelque chose à nous reprocher.

Après tout, tu es comme nous tous. Sinon, tu ne serais pas là, Franck.

— Je ne suis pas un meurtrier...

Ma pensée n'alla pas plus loin, Je perdis les derniers soupçons de conscience qu'il me restait sur la vision étrange de la porte normalement close et impossible à ouvrir, qui s’entrebâille lentement, et au premier plan, la corde du pendu, balançant inexorablement.

 

Victime: Lacryma / véritable indentité: Inconnue / âge inconnu

Nom d'emprunt: Inconnu / Véritable identité: Marc (?) / âge : inconnu/

Survivants: 18/20

L'humanité est devenue assez étrangère à elle-même pour réussir à vivre sa propre destruction comme une jouissance esthétique de premier ordre.

Walter Benjamin

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